Le journaliste-voyageur Stéphane Dugast et son ami photographe Christophe Géral ont passé trois semaines bien remplies sur la Route 66. De cette aventure faite de rencontres, de détours et d’émotions, ils ont tiré un beau livre édité chez la Martinière. Interview.
Stéphane, comment a germé l’idée de « faire » la Route 66 ?
J’ai vraiment découvert la Route 66 grâce au livre de Jean-Pierre Reymond. Il se trouve que j’ai un tropisme pour tout ce qui est voyages, aventures et routes mythiques, qu’elles soient maritimes ou terrestres. Le côté à mi-chemin entre Jack Kerouac et Nicolas Bouvier, le voyage initiatique entre Chicago et Los Angeles, c’était quelque chose qui me trottait dans la tête depuis l’adolescence. L’occasion s’est présentée grâce à l’une des relations de Christophe Géral, le photographe, qui organisait ce trip en partenariat avec des anciens étudiants de l’école de commerce ESCEM. On est partis à 8 motos !
L’introduction du livre est signée de Philippe Labro. A-t-il été facile à convaincre ?
Philippe Labro a fini par s’imposer comme une évidence, mais étant né en 1974, je le connaissais sans vraiment le connaître, et je n’avais lu que des bribes de son œuvre. Il est évidemment très demandé, mais j’ai fini par l’avoir au téléphone, en lui disant qu’il était probablement la personne la plus légitime pour parler du sujet. Il m’a alors demandé si j’avais lu ses romans… et je lui ai répondu en toute franchise « Non, pas du tout, mais faisons connaissance, et je serai capable de tout lire de vous après ! » Étonnamment, il m’a fait confiance, et lorsqu’il m’a raconté « sa » Route 66 en 1954, il a fait ressortir la quintessence de la route mythique et à quel point elle est devenue un symbole du rêve américain. C’était l’époque « Happy Days » !
Pourquoi avoir choisi la forme d’un carnet de voyage au jour le jour ?
J’ai lu beaucoup de récits de voyages, et je ne voulais surtout pas tomber dans le piège du récit exhaustif, heure par heure ou carrefour par carrefour : je préférais faire un carnet de voyage avec deux ou trois anecdotes quotidiennes, comme autant de petites « nouvelles ». Il se trouve que chaque jour, nous avons fait une, deux, voire trois rencontres très fortes. Parfois par chance, comme quand après un détour de 40 kilomètres nous sommes arrivés au rassemblement des indiens Cheyennes au bon moment… en étant les seuls blancs sur place !
Vous vous êtes d’ailleurs permis quelques infidélités à la Route 66…
On ne voulait pas jouer les « Ayatollahs », et mon expérience des voyages m’a appris que même si l’on ne suit pas scrupuleusement une route, le plus important est de rester dans l’esprit, quitte à s’écarter de temps en temps du tracé. D’ailleurs, les touristes qui empruntaient la Route 66 s’en éloignaient souvent pour aller visiter Monument Valley ! Mon seul regret, avoir raté le tronçon de la Petrified Forest et de Painted Desert. Mais quand nous avons retrouvé le panneau « Route 66 » après notre escapade à Las Vegas, c’était jubilatoire !
De toutes les rencontres que vous avez fait sur la Route 66, lesquelles vous ont le plus marqué ?
Je me souviens particulièrement de Dave et Ruth, le couple de harleyistes que nous avons croisés en Arizona. Dave est plutôt costaud et avait l’air énervé, mais j’ai quand même tenté de l’aborder, en m’attendant à me faire rabrouer. En réalité, ce fut tout le contraire, sa femme et lui ont même retardé leur départ d’une heure et demie pour nous raconter « leur » Route 66 ! Je garde également un souvenir très fort de notre rencontre avec Victoria, l’indienne du canyon de Chelly. Elle avait quelque chose de fier dans son regard, mais était en même temps très désireuse de raconter son histoire et celle du peuple Navajo. Et quand nous lui avons demandé si l’on pouvait la prendre en photo sur son cheval, elle a fait comme dans les westerns, en chevauchant à cru le long de la rivière !
Ce voyage a-t-il changé votre regard sur l’Amérique et les Américains ?
C’est un voyage initiatique qui m’a transformé. J’ai découvert que les Américains du Midwest vivaient dans un confort précaire, dans des maisons « en carton » chaudes l’été et fraîches l’hiver. J’ai découvert des gens hospitaliers, qui ont une culture de l’accueil de l’étranger. Des gens dépositaires de l’esprit des pionniers, mais également d’un puissant esprit d’entrepreneuriat. J’ai également pu gratter sous les apparences du rêve américain, en relisant par exemple les textes des chansons de Bruce Springsteen. J’ai découvert une Amérique très éloignée des clichés que l’on entend habituellement en France.
Sur la Route 66 : Carnets de voyage, par Stéphane Dugast (texte) et Christophe Géral (photos), introduction par Philippe Labro. Editions de la Martinière.