Tous les cinéphiles connaissent Easy Rider, et les plus pointus d’entre vous ont peut-être déjà vu Vanishing Point (Point limite zéro en français). Mais il existe un autre road movie, qui a été tourné essentiellement sur la Route 66 : Macadam à deux voies (Two lane blacktop). Œuvre incomprise d’un auteur maudit, ce film de Monte Hellman finira par devenir culte, devenant emblématique de la contre-culture et de la jeunesse révoltée des années 60. Retour sur sa genèse mouvementée…
Monte Hellman, réalisateur américain, 85 ans et seulement… dix films à son actif. L’histoire du réalisateur maudit d’Hollywood commençait pourtant plutôt bien : dans les années soixante, après avoir fait ses classes en réalisant quelques films de série B, Hellman tourne avec des stars en devenir telles que Francis Ford Coppola, Jack Nicholson ou Warren Oates.
Puis vient 1969, et le légendaire Easy Rider de Dennis Hopper. Le phénoménal succès du film produit par la Columbia fait rêver CBS, qui entreprend d’en réaliser un « clone ». La firme rachète les droits d’une histoire de road-movie (un blanc, un noir et une jeune fille traversant l’Amérique en voiture) pour 100 000 dollars, et propose à Monte Hellman de la tourner. Pas forcément convaincu par le script, ce dernier accepte, à condition que l’histoire soit retravaillée. CBS cède et recrute sur les conseils de Hellman l’écrivain underground Rudy Wurlitzer comme scénariste. Problème : l’histoire originale lui tombe littéralement des mains !
Wurlitzer et Hellman décident donc de repartir d’une feuille blanche, en ne gardant que l’idée de la course à travers le pays et les personnages du pilote, du mécanicien et de la fille. Wurlitzer s’isole dans un motel de Los Angeles et se bâtit une culture automobile : il lit des magazines spécialisés, se rend aux réunions de passionnés (que George Lucas décrira des années plus tard dans American Graffiti). Quatre semaines plus tard, il tient son script… qui n’a plus grand-chose à voir avec l’original.
Entre temps, le bébé a changé de mains : sans doute effrayée par la tournure que prend l’affaire, la CBS ne veut plus de ce film. Hellman fait la tournée des popotes à Hollywood, mais si les studios apprécient l’histoire, ils veulent avoir le dernier mot sur le casting et le montage. Un jeune dirigeant d’Universal finit par accepter les conditions de Hellman, en lui laissant même le « final cut » : liberté totale quant au montage final. Le budget est fixé à 850 000 dollars.
Le casting est compliqué. Pour le rôle du « pilote », Hellman choisit le guitariste James Taylor, mais le choix du mécanicien est plus difficile : le réalisateur veut un maximum de réalisme et part à la recherche de nouveaux talents… dans des garages ! Sans succès : à quatre jours du tournage, Hellman n’a toujours trouvé personne. On lui glisse alors le nom de Dennis Wilson, batteur et cofondateur des Beach Boys. Issus de cette jeunesse de Californie du Sud adorant le surf, les belles mécaniques et les courses de hot-rods (avec les tubes Shut Down, 409 et surtout Little Deuce Coupe), les Beach Boys sont devenus des symboles. Hellman trouve l’idée excellente et embauche Dennis Wilson.
Warren Oates joue le rôle de « GTO », le conducteur d’une Pontiac que viennent défier les deux jeunes. La fille qui vient s’incruster dans le groupe est interprétée par la toute jeune Laurie Bird, 18 ans.
Mais le staff du film n’est pas au bout de ses peines ! Perfectionniste à l’excès, Monte Hellman adopte des techniques peu orthodoxes. D’abord, il insiste pour que l’équipe suive réellement l’itinéraire à travers le pays des trois jeunes personnages, afin que les acteurs soient immergés dans l’ambiance. Ensuite, ces derniers ne reçoivent les dialogues que le matin du tournage, une approche qu’ils n’apprécient guère, notamment James Taylor. Ce dernier le fait savoir à Hellman, qui finit par céder et lui remettre le script… que Taylor refusera finalement de lire. Ambiance !
Après six semaines de ce tournage éreintant, Hellman passe au montage, qu’il tient à faire lui-même. Bien mal lui en prend : le premier jet du film dure… trois heures et demie ! Mais si Universal lui a laissé les mains libres, c’est à la condition expresse que le film n’excède pas deux heures. Hellman remet alors l’ouvrage sur le métier, et finit par produire une version ramenée à 102 minutes.
Pour le magazine Esquire, ce long métrage contemplatif sur l’incommunicabilité et le choc des générations est tout simplement « le film de l’année ». À l’inverse, le patron d’Universal Lew Wasserman le déteste. Pieds et poings liés par le contrat signé avec Hellman, il décide de torpiller le lancement du film, qui sort le 7 juillet 1971 sans aucune promotion ni publicité.
Sans surprise, le film est un échec commercial. Son tempo lent et l’aridité de ses dialogues déroutent le grand public. Laurie Bird, compagne de Hellman au moment du tournage, se suicidera plus tard, à seulement 25 ans, parachevant l’aura morbide de ce film décidément né sous une mauvaise étoile.
Plus de quarante ans après sa sortie, Macadam à deux voies est cependant devenu un film culte, à la manière d’autre road-movies existentialistes comme Easy Rider ou Vanishing Point. Il aura également inspiré des réalisateurs tels que Quentin Tarantino (Hellman produira d’ailleurs Reservoir Dogs) ou Vincent Gallo. Après vingt ans de traversée du désert, Monte Hellman est revenu quant à lui à la réalisation avec Road to Nowhere, sorti en salles le 13 avril 2011.
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